jeudi 1 janvier 2009

Les compagnons du bol

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Au plus fort de ma sexagénariose, je décidai de faire un bilan de santé et consultai des spécialistes en gérontologie :
- Docteur, c'est pour un chaiqueup.
- Je vois que vous êtes un intellectuel, commençons par un scanner cérébral.
Le cliché du scanner révèle une multitude de petites taches blanches. Je demande une explication.
- Ce sont des hypersignaux évocateurs d’une leucoaraïose
- Des acariens !?
- Mais non, des axones défunts … en quantité spécialement importante.
- Comment interpréter cela ?- Ce sont tout simplement des signes de vieillesse précoce.
- J'ai toujours été précoce. A ce point, c'est sidérant.
En effet, cette constellation de petites étoiles, garnissant ma voûte crânienne, lui donne l'allure d'une voûte céleste sidérale qui force l'admiration. Cette preuve de belle santé cérébrale me donne le courage d'aborder un sujet délicat :
- Professeur, je dois vous signaler par ailleurs une particularité gênante : mon estomac a tendance à conserver les aliments pendant près de huit heures. Je souffre de lourdeurs d'estomac, remontées acides et flatulences à répétitions. Huit heures, n'est-ce pas excessif ?
- Cher monsieur, rien n'est excessif en la matière : vous êtes tout simplement un grand digestif.- Ah, vous me faites plaisir. Pouvons-nous entrer dans les détails ?
- Volontiers.
C'est ainsi que, suite aux investigations du Professeur dans mes intimités, je suis maintenant en mesure de vous conter l'édifiante épopée des Compagnons du Bol, ces fines équipes qui nous alimentent quotidiennement de leurs ébats. Trois fois chaque jour en effet, se présentent à la déglutition des individus isolés, de provenances diverses, qui vont se rassembler dans ma panse sous l'autorité de M. Gaster. Alcide Gaster, un personnage haut en couleurs surnommé avec respect 'l'Alcide ascétique' ou en tout irrespect 'l'Alcide a ses tics' dans mon petit monde picrocolin.
Par exemple ce midi : Julienne Delégume de mon village, Bette Rave de Picardie, Chouchou de Bruxelles, Jean Pignon de Paris, Paul Anta d’Italie, Khan Coyotte de Franche-Comté, Charlotte Aupoir de Normandie et Clémentine San Pépin de Corse, accompagnés du rare et très estimé Charme Chambertin de Bourgogne âgé de 21 ans (1985), dans une joyeuse ambiance de fête végétarienne.

Alcide Gaster a pour mission de mêler intimement tous ces visiteurs qui ne se connaissaient pas, afin de former un groupe aussi homogène que possible. Ce à quoi il s'applique avec une haute conscience de ses devoirs et en y consacrant "le temps qu'il faut".
Il est secondé dans cette fonction noble par Melle Cardia à l'entrée de la panse et M. Pylore à la sortie. Pour des raisons inconnues, M. Pylore est réticent dans son octroi de bons de sortie, tandis que Melle Cardia fait refluer des compagnons vers une reglutition laborieuse. Aucun des deux ne s'est exprimé clairement sur son attitude, autorisant l'hypothèse d'une basse connivence entre eux.

Lorsque tout rentre finalement dans l'ordre, Pylore libère les Compagnons du Bol pour les diriger vers le royaume de Mme Méga Doliko-Côlon.- On n'y voit rien, là-dedans, déplorent les compagnons en constatant l'extinction de l'ampoule de Water, toujours en panne.- Vous ne pouvez-pas vous tromper, descendez du Haut des Nonnes, c'est tout droit, leur crie Pylore pour les encourager.Façon de parler, car nos amis vont bientôt devoir affronter mille et un virages en épingles à cheveux et avoir à franchir autant d'obstacles.
- Dis-donc, ça nous rappelle le service militaire, pas vrai ?- Arrête de me faire rire, je glisse !Voilà les joyeux compagnons faisant la fête, chantant à tue-tête des borborythmes et dépensant sans compter leurs liquidités. Avec une certaine prudence car on leur a bien dit :
- Faites ce que vous voulez, mais attention : n'indisposez pas la belle Méga, si elle le prend mal et s'en trouve irritée, elle est capable de vous expédier directement vers la sortie, avec toutes vos liquidités et sans ménagements.

La mission de Méga Doliko-Côlon consiste à gérer au mieux les liquidités prélevées aux Compagnons du Bol. Elle s'y emploie rondement. En femme d'affaires avisée, elle a créé une petite filiale "Les Gaz de France" de production et exportation d'éthane, méthane, aliphatiques et autres aromatiques ou aldéhides parfumés, aussi lucrative que florissante.Pendant ce temps, les compagnons, unis comme un seul homme, bientôt à court de liquidités, peuvent s'écrier enfin, lorsque leur voie s'élargit soudain :
- Ben mon colon, c'est une vraie autoroute, ici !
C'est alors qu'intervient M. Rect'Homme, principal collaborateur et Directeur Export de Mme Méga, pour diriger vers la sortie, dans le calme et la dignité, ce qu'il reste de nos joyeux compagnons, à qui je ferai l'honneur de contribuer à fermer le cycle du carbone en finissant leur course dans mon réservoir de compost.

Pleinement rassuré enfin sur mon état de santé, de la tête aux pieds, ou presque, je pris congé de mes savants docteurs et poursuivis ma sexagénarité en paix.


Texte issu du recueil "des risions anthumes" vendu au profit de notre association humanitaire l'Aile, "pour les enfants, les filles d'abord"